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MOI BOUDDHA

   Extraits de l'ouvrage de José FRECHES

 

 

L’ENFANCE

Nous sommes deux enfants insouciants, Ananda et moi en train de jouer en cette fin d’après midi dans le parc de Lumbini, sous l’effet d’une brise légère, la chaleur jusque là étouffante qui faisait frissonner le ciel et flétrir les feuilles des caroubiers, des canneliers , des acacias, des sals et des manguiers disposés autour des bassins d’agrément, commence doucement à retomber.

Siddharta Gautama, veux-tu venir, s’il te plaît ! La voix qui m’appelle est celle de ma gouvernante, madame Oudéa.  Madame Oudéa est une matrone aussi large que haute. J’enfouis mon nez dans cette masse de chair parfumée à l’eau de jasmin et de fleur d’oranger. J’aime me jeter dans sa lourde poitrine et me faire enlacer par ses bras immenses, gras  et doux.

C’est l’heure du goûter. Après celui ci nous jouons aux billes Ananda et moi au pied du banc sur lequel est assise madame Oudéa qui a été rejointe par une autre gouvernante. « Cet enfant m’étonnera toujours… une telle précocité physique et une telle maturité intellectuelle ! Il fait la joie de son père ! » confie Oudéa à sa collègue.

Mon père, Suddhoddana Gautama, me raconta que quelques mois après ma naissance, il m’avait déposé au pied d’un arbre Jambu, avant d’aller creuser le premier sillon des semailles. Lorsqu’il était revenu me voir afin de m’assurer que j’étais bien endormi, il m’avait retrouvé assis en lotus dans mon couffin, les yeux mi-clos. Après cet épisode, un de ses vieux serviteurs a prédit à mon père que je n’aurais pas une existence banale. Depuis ce moment je passe pour posséder des dons et les facultés d’une sorte de demi-dieu.

Du jardin de Lumbini, j’aperçois notre forteresse sur la tour principale de laquelle un étendard hors d’âge flotte au vent. Il est aux armes des Gautama. Depuis deux ans, tout le monde se plaint des moussons particulièrement violentes. De nombreux brahmanes profitent de leur statut et demandent pour accomplir des rituels traditionnels, des sommes d’argent si considérables que le culte des puissances divines est peu à peu devenu une affaire réservée aux familles riches. Cette situation frise le scandale mais qui oserait remettre en cause la hiérarchie des castes ?

Certainement pas mon père qui  consacre près du quart des revenus du clan dont il est le chef à payer les salaires d’une dizaine de brahmanes. La petite ville de Kapilavastu s’étend derrière la colline. Autour de notre ville les champs et les prairies mangent peu à peu la jungle. A force de travail harassant et dangereux, les habitants ont réussi à défricher les lisières de la forêt. C’est là, depuis des générations que réside la famille de mon père, Suddhoddana. En tant qu’aîné il a été désigné chef du clan des Gautama. A ce titre, il a hérité de la forteresse de la cité, avec pour charge de pourvoir à la défense de celle-ci contre tout assaillant.

Depuis que ma mère est morte des fièvres, trois mois après ma naissance, mon père a reporté sur moi tout l’amour qui l’unissait à Mayadevi, l’épouse qu’il aimait. Quant il y a deux ans, ses obligations militaires éloignèrent mon père de Kapilavastu, il me confia à son frère et  à sa belle sœur, les parents d’Ananda. Pendant six ans j’allais habiter chez eux et Ananda et moi sommes maintenant comme deux frères. Depuis qu’il est revenu de ses campagnes militaires, tout auréolé de gloire, mon père rêve de faire de moi un valeureux guerrier, digne de lui succéder. Il met donc un point d’honneur à m’apprendre à chasser, à manier l’épée et à tirer à l’arc. Mais malgré l’exercice journalier qu’il m’impose sous la conduite d’un professeur rigoureux, je n’aime pas tirer à l’arc. Un jour à force de persévérance, la flèche que je viens de tirer, se fiche, cette fois, en plein milieu du rond central. Mon père pousse un cri de joie. La séance de tir à l’arc est  terminée et je prends un air renfrogné.  A quoi servent les guerriers ? Pourquoi fait-on la guerre ? Dans quel but faut-il détruire et faire le mal ?  Toutes ces questions que je soumets à mon père restent sans réponse et celui-ci est furieux. Je ne sais pas ce qui m’a pris de faire de telles déclarations, mais je n’en ai pas honte et ne le regrette pas. C’est bizarre mais malgré mes dix ans, je suis sur, déjà, de savoir ou je veux aller !

 

ONZE ANS

Allongé sur mon lit étroit et dur, je sens un souffle tiède balayer ma nuque. O surprise c’est mon père. Aujourd’hui tu as onze ans, mon, fils ! C’est l’âge d’un vrai petit homme. Dans cinq ou six ans tu seras en âge de te marier. Aujourd’hui tu as droit à un cadeau de la part de ton père. Il te suffit de le lui demander. Laissez moi aller chasser le lièvre ou bon me semble en compagnie d’Ananda

Le jour de tes onze ans je ne peux te refuser cela, mais il te faudra revenir ici avant la tombée de la nuit. En fait mon seul but est franchir la petite source qui nous fait office de frontière avec le monde extérieur. Les toits de tuile plate des maisonnettes de Kapilavastu, les cimes montagneuses aux bordures dentelées qui s’étagent, les routes qui se déploient telles des serpents. Et surtout il y a les autres, ces milliers d’hommes et de femmes que je vois aller et venir dans la campagne et dont mon père ma toujours enjoint d’éviter de croiser le regard ! Aussitôt avalés nos fruits et nos biscuits, Ananda et moi quittons en chantant à tue-tête la forteresse de Kapilavastu. Sur la route qui descends vers la plaine nous rencontrons un homme totalement nu qui vient à notre rencontre. J’avise un paysan et lui demande ou va cet étrange personnage ? C’est un cramana, un ascète un errant "celui qui fait des efforts" il marche sur les routes en mendiant sa nourriture. Le pauvre ! Je le plains  s’exclame Ananda bouleversé par cette vision. Tu as tord cet homme ne possède rien mais il est riche du bien le plus précieux, il est libre d’aller et venir, la liberté d’aller à la rencontre de qui il veut. Le monde est enfin a moi, je n’ai plus envie d’aller chasser le lièvre. La nature est un somptueux cadeau pour les êtres vivants, à commencer par l’homme, mais si la nature est belle, les hommes souffrent, voilà ce que m’inspire notre promenade.

LE MONDE DES HOMMES DE PEU

Notre première échappée dans le monde extérieur nous a donné envie de recommencer, mais les questions posées à mon père sur les cramaras et mes doutes sur le pouvoir des brahmanes ont le don de l’agacer. Père, les brahmanes passent leur temps à justifier de leur importance. Les autres, les êtres humains, mes semblables m’intéressent plus que les brahmanes et leurs dieux. Choqué et triste je constate que mon père a peur d’avoir enfanté un fils sacrilège qui risque dans un élan de générosité incontrôlé de se laisser aller à renier la condition sociale et matérielle de sa caste de naissance ! A mesure que les mois passent, je me sens comme un oiseau en cage. Plus je réfléchis et plus je juge absurde la contrainte engendrée par l’ordre des castes. J’ai l’impression d’être un beau vase exposé sur uns étagère haute, condamné à toiser les autres … Mais je sais qu’un jour je quitterais cette étagère sur laquelle mon clan prétend que je dois rester.

ETRE ET AVOIR

Personne ne rognera mes ailes. Aujourd’hui c’est décidé, Ananda et moi ferons le mur. Le jour dit, nous nous laissons glisser le long de l’énorme tronc de lierre qui parcourt la muraille de haut en bas. Arrivés à l’entrée du village un marchand de tissu ambulant refuse de verser dans l’écuelle que lui tend un ascète vêtu d’azur un peu de riz. Je dis à Ananda, cet homme vient de se priver d’une occasion de procéder à un acte positif, je le plains de tout mon cœur. Ananda me regarde stupéfait par ma remarque. Ce que tu donnes t’enrichit. Ce que tu gardes t’appauvrit. L’homme a le choix entre deux attitudes : être et avoir. Dans la plupart des cas tu ne choisi pas ! Quand tu as, il est difficile d’être, alors que pour ceux qui n’ont rien c’est plus facile. A présent c’est devant un lopin de terre labouré de frais que nous passons. Regardes un peu ce champ Ananda, lorsqu’il a été labouré, la charrue y a fait mourir des milliers d’herbes et d’insectes, sans compter les dizaines de mulots et d’oisillons. L’homme ne peut échapper au Samsara, mon cher Ananda ! Tu veux parler du cycle infini des morts et des renaissances ô Siddharta ? Oui je fais bien allusion à cette errance qui mène les êtres d’une vie à l’autre. Je parle de cette roue immense dont le mouvement ne s’arrête jamais ! Je parle de ces actes initiés dans des vies antérieures dont nous n’avons pas conscience et qui produisent leurs effets que bien plus tard ! Oui c’est bien du Samsara  dont je veux parler ! Le jour déclinant nous revenons au château profitant d’un convoi de marchants pour entrer inaperçus. Allongé sur ma couche, je suis heureux. J’ai appris à Ananda qu’il valait mieux être qu’avoir et que la seule possibilité d’avoir ce dont on a besoin c’est précisément, d’être.

JE DEVIENS UN REBELLE

Depuis plusieurs mois Ananda et moi, nous faisons le mur, mais aujourd’hui et pour la première fois nous décidons d’explorer de fond en comble les quartiers de Kapilavastu. Dès que je pénètre dans ce monde urbain, le choc est rude, l’odeur qui prend à la gorge, le bruit, infernal. Les pleurs et les gémissements, les rires et les insultes, tout se mélange dans un magma sonore.Je découvre que le pire existe à coté du meilleur. J’aperçois des enfants misérables au regard résigné, mais également l’indifférence des autres habitants. Entre la résignation et l’indifférence je n’arrive pas à déterminer ce qui est le plus choquant. Je suis accablé mais nous n’avons encore rien vu. Ici et là des ascètes et yogis en méditation exposent les blessures et mortifications qu’ils s’infligent. Il y en a même un qui prétend tenir son bras levé depuis dix ans au-dessus de sa tête. Comment se fait-il que les dieux laissent ainsi la misère se répandre sur terre ? Les dieux sont égoïstes ; ils sont bien là et si loin des hommes ! Ce que nous avons découvert ici est encore plus terrible que je ne l’imaginais. Nous menons une existence factice !  Je quitterai un jour ma maison en m’arrachant à moi-même

QUINZE ANS

Aujourd’hui, on fête mes quinze ans et je ne suis pas à plaindre bien qu'Ananda nous ait quitté pour apprendre le métier de soldat ! Hier soir au moment de me coucher, j’ai dégrafé ma tunique et constaté avec satisfaction que le léger duvet qui pousse depuis quelques semaines à la base de mon sexe est en train de s’épaissir. Je deviens un homme. Ce matin mon père m’a annoncé : Siddharta, je t’ai sélectionné par concours les trois plus belles princesses de la province  Les lauréates danseront devant toi. Tu choisiras celle qui te plaira. Voilà, devant moi apparaissent les trois promises. Sous leurs culottes bouffantes de gaze apparaissent leurs jambes brunes et fuselées. La danse, d’abord lente et lascive, devient de plus en plus saccadée et provocante. Mon sexe commence à se durcir. Comment choisir ? Finalement mon choix se porte sur Yashodara qui danse avec grâce, sans même me regarder. Mais il me reste à présent a convaincre le père de Yashodara de me donner sa fille pour épouse, m’explique mon père. Et pour ce faire je dois remporter l’épreuve de tir à l’arc  Cette épreuve franchie avec succès, le peuple présent applaudit à tout rompre. Mon père est fier de son fils, j’ai quinze ans et trois jours, j’aime une femme, ma vie paraît tracée. Mais un rebelle, ça ne meurt jamais…

YASHODARA

Dans ma bouche et au creux de ma langue, ces années au cours desquelles je me suis efforcé de rentrer dans le rang ont à présent un goût amer. Ce furent pourtant des années calmes et heureuses. Lorsque je partageai pour la première fois la couche de Yashodara, je ne savais pas à quoi ressemblaient les parties intimes du corps de la femme, pas plus qu’elle, d’ailleurs, celles de l’homme. Nous nous appriment mutuellement a faire des gammes de la musique que nous découvrions ensemble, lorsque mon sexe tendu comme la corde d’un arc pénétra à l’intérieur de celui de Yashodara, j’eus l’impression d’être la flèche qui avait mis dans la cible, le jour de ce fameux concours de tir à l’arc que l’avais gagné. Je compris cet inextricable mélange de rudesse et de douceur qu’était l’amour physique. Dix mois plus tard Yashodara accoucha de notre enfant. Rahula était fils de notre amour et contribua à nous souder l’un à l’autre un peu plus. Les mois et les années passaient mais un matin Yashodara fut prise d’étourdissements au sortir du lit. Les médecins défilèrent mais rien n’y fit. Yashodara mourut dans mes bras.

LE RETOUR D'ANANDA

Comme tous les soirs à la même heure je suis sur le chemin de ronde. A la vue de la silhouette reconnaissable entre toutes, je pousse un immense cri de joie. Là-bas sur le chemin c'est mon cousin Ananda qui revient ! A peine retrouvé, celui-ci me raconte le pays des neiges ou derrière chaque rocher poussait une gentiane, où rodait une espèce d'animal unicorne qu’on appelle rhinocéros. Je le serre dans mes bras ? Pour moi ces sept années furent une parenthèse au cours de

laquelle le temps s'est arrêté. A mon tour je lui raconte Yashodara et lui présente mon fils Rahula. Et ce retour réveille en moi le rebelle qui sommeillait. Et si je décidais de quitter ce château, d'aller dans le monde, vers les autres, m'accompagnerais-tu Ananda ? Ici je me comsume à petit feu. Bientôt je ne serais plus qu'un tas de cendres ! Et si tu devais partir, ou irais –tu ô Siddharta ? A la recherche de la vérité, à la recherche de moi-même, et aussi par conséquent à la recherche de l'essentiel. Après quoi je pourrais aider les autres à en faire autant. Je veux trouver la Noble Vérité, fut-elle cruelle, afin de donner aux hommes les clefs de l'issue à la difficulté de leur condition. Et si je n'essaie pas, qui le fera à ma place ? A présent que tu es là, c'est dès demain que nous pouvons partir. Qu'en penses-tu ?

JE PARS

C'est décidé, je pars ; ou plutôt, Ananda et moi, nous partons ! Je boucle un petit sac de voyage en toile de jute dans lequel j'ai placé un simple bol de cuivre. Il fait encore nuit noire, mais l'aube ne va pas tarder à poindre. Avant le grand départ, je veux juste serrer mon petit Rahula contre mon cœur, mais sans le réveiller. L'enfant à mon grand dam s'est dressé comme un ressort. Vais-je lui mentir ou lui dire la vérité au risque de le désespérer. Mon fils a droit à la vérité. Je pars mon petit Rahula ! Je pars à la recherche de la Vérité et lorsque je l'aurai trouvée, alors je reviendrais te voir. Comment lui expliquer que j'ai acquis la conviction que la vie humaine n'est que douleur pour ceux qui se refusent à renoncer à tout, et que seul le détachement dont je suis en train de faire preuve et qui lui cause tant de peine peut conduire à l'absence de souffrance. Quitter son unique enfant c'est doublement s'arracher mais les dés sont jetés et, Ananda et moi glissons dans la nuit noire, hors de la forteresse ou j'ai passé toute ma vie. C'est bien que tu sois venu dis-je à Ananda pour l'encourager et surtout le remercier. Je te suivrai partout ou tu iras, Siddharda me répond-il comme si de rien n'était. Au premier village nous croisons un groupe de mendiants. Ces derniers nous traitant de richards, je me dépouille de toutes mes parures de cheveux, de mes ornements de poitrine, de mes bagues et de mes boucles d'oreilles et leurs tend. Les pauvres hères n'en reviennent pas. Ananda aussitôt en fait autant. Plus loin avisant un salon de coiffure, je demande à l'homme de me raser le crâne. Tu parais dix ans de moins, lance Ananda en riant, tout en s'engouffrant à son tour dans l'échoppe d'où il ressort, lui aussi, le crâne glabre. Epuisés par une marche sous des trombes d'eau nous trouvons enfin refuge dans un caravansérail. Nous décidons de nous dépouiller de toutes nos parures et autres culottes bouffantes dès le lendemain.

COMME LES OISEAUX DU CIEL

Nous marchons depuis trois mois jour pour jour. L'habitude venant nous commençons à marcher dès l'aube, pour ne nous arrêter qu'au couché du soleil. La plante de mes pieds n'est qu'une plaie depuis que j'ai abandonné mes sandales. A la mi-journée j'avise une échoppe de potier. Je m'approche de l'homme et lui explique que je n'ai pas d'argent et que j'ai besoin d'un bol. Tu as l'air d'un ascète errant répond-t-il. Si tu acceptes de prier pou moi c'est l'ensemble de mon stock qui est à toi ! Je travaille à arrêter le cycle des réincarnations. Quant je serais prêt, je te ferais signe, dis-je à l'homme qui tombe à mes pieds. Mais comment ferai-je pour te retrouver s'inquiète-t-il ? Avec nos toges orangées, marchant sur les chemins tu n'auras pas de mal à avoir de nos nouvelles. Nous allons continuer à mendier? s'enquiert aussitôt Ananda l'air consterné ? Nous serons comme les oiseaux du ciel : ils ne savent pas de quoi demain sera fait, ni s'ils trouveront à manger ; Mais ils sont riches de leur liberté, ils vont et viennent où bon leur semble. La précarité permet de se consacrer à l'essentiel.

L'ARBRE DE VERITE

Méditer, exercer ma pensée, encore et toujours : telle est l'activité à laquelle je ne cesse, depuis des mois, de m'adonner. A force de concentration et d'analyse de ma vie, j'ai fini par comprendre que méditer revient à gravir un escalier fait de quatre marches.

Ton premier stade de Méditation est fait de réflexion, de joie et de bonheur.

Ton deuxième stade de Méditation est fait de sérénité et de joie mais est dépourvu de raisonnement : Ton esprit en sommeil permet de ce fait à ton corps de se laisser imprégner par les phénomènes qui l'entourent et dont il n'a pas toujours conscience.

Ton troisième stade de Méditation est fait d'indifférence, d'inattention et de détachement. L'abandon est déjà là, qui permet à ton esprit de se concentrer sur l'essentiel et de se laisser inonder par la vérité.

Quant au quatrième et ultime stade de la Méditation, il est fait de pureté absolue, d'abandon et d'indifférenciation: ce stade n'est ni pénible ni agréable car toutes les sensations, bonnes ou mauvaises, sont effacées. Concentré sur l'essentiel j'ai à présent la certitude que la Vérité va bientôt resplendir.

J'ACQUIERS LES TROIS SCIENCES

Cela fait moins d'une heure que je suis assis sous l'arbre de la Vérité, je demeure imperturbable, et je regarde un point fixe pour amorcer la première phase de ma concentration spirituelle. Je dois m'échapper du monde, pour mieux l’appréhender. La Vérité m'apparaît peu à peu, aussi brillante que les flammes d'un bois sec. Elle est éblouissante, elle est évidente. Je suis le visiteur d'un extraordinaire palais divisé en trois parties.

Je pénètre dans la première et là je découvre toutes mes vies antérieures. Je suis né mille, dix mille, cent mille fois ; ici et là, sous des centaines de milliers de formes. Je m'inscris dans une lignée immémoriale.

Je pénètre dans la seconde partie de l'édifice. Alors je prends conscience de toutes les naissances et de tous les décès de tous les êtres qui peuplent l'Univers. Nous sommes tous reliés les uns aux autres sans le savoir. J’éprouve de la compassion pour tous les êtres vivants. Nous voguons tous sur la même barque emportée par le grand fleuve qui se jette dans la mer de la mort dont l'eau s'évapore pour devenir la pluie qui en tombant sur les montagnes, génère à nouveau le fleuve. Tel est le cycle que je veux interrompre.

Je pénètre dans la troisième partie de l'édifice et là, j'éprouve soudain un bonheur indicible car je peux à présent assister, émerveillé, à l'épuisement de mes impuretés : celles de mon désir, celles de mon existence et celles de mon ignorance. Telles sont les trois Sciences dont je viens d'achever l'acquisition : la connaissance de mes vies antérieures, celle de tous les êtres qui m'ont précédé et celle de l'état de pureté indicible.

Mes gestes et mes attitudes dans mes vies antérieures expliquent la condition qui est la mienne aujourd'hui et que je n'ai pas cherché : celle d'un bodhisattva Eveillé, bientôt au seuil du nirvana. Bientôt si, d'ici là, je ne faillis pas, je deviendrai Bouddha.

JE METS EN MOUVEMENT LA ROUE DE LA LOI

L'entrée du parc des Gazelles de Sarnath constelle l'azur d'éclats rouge vif comme pour honorer l'Eveillé que je suis devenu ! Je prends la parole devant mes disciples tandis que les daims, les cerfs et les gazelles vont et viennent librement entre les troncs des végétaux. Alors je dis : la situation de tous les êtres relève des quatre nobles vérités : la noble vérité de la douleur, depuis la naissance jusqu'à la mort, celle de la soif et du désir de posséder qui sont à l'origine de la douleur, telle est la deuxième Vérité ; seul le détachement et l'abandon de cette soif et de ce désir peuvent faire cesser la douleur, telle est la troisième vérité. Quant à la quatrième, je la nomme voie du Milieu. C'est le chemin qui mène à la cessation de la douleur et à la délivrance finale, c'est à dire à la sortie du Samsara. Ce domaine je nomme "fin de la douleur", je le nomme "Nirvana". C'est vers lui que je vous invite à aller avec moi. Voilà comment j'ai fait tourner la roue de la Loi, la roue du monde, celle que j'ai réussi à mettre en mouvement, pour la faire passer de la case "douleur" à la case "Salut".

LA NAISSANCE DE LA SAMGHA

Plus les mois passent et plus les quatre nobles Vérités semblent faire leur chemin. Le flot des nouvelles recrues ne cesse pas. La samgha (communauté) compte désormais plusieurs centres ou séjournent les moines entrés récemment dans le Courant. Je leur enseigne la méditation transcendantale, mais Ananda  évoque parfois d'autres pratiques telle celle de la création mentale de l'Horrible ! Cette pratique consiste à visualiser le cadavre d'un parent et de lui appliquer les dix étapes de sa décomposition. L'impétrant est invité à aller jusqu'au bout de l'horreur, alors la concentration survient. Cette prétendue création mentale de l'Horrible n'est qu'une invention de gourous désireux d'impressionner leurs ouailles et je conseille aussitôt à Ananda de se contenter de respirer naturellement …

MON DERNIER KARMA

Me voici à nouveau sous l'arbre de la compassion, et je suis à présent un vieil homme. Je sens que le grand moment, tant attendu, est enfin arrivé. Mon Karma actuel (période de l'existence en cours) est le dernier. Vous croyez que je dors mais je ne dors pas. Je veille. Je suis dans l'antichambre de la délivrance. Je vous quitte mais je reste au milieu de vous et ma compassion vous accompagnera jusqu'au bout.

Vous êtes tous là, au milieu des sals. Ananda, tu es là et c'est bien ainsi. Sans toi, je ne me serais jamais arraché aux miens. Tu m'en donnas le courage. Je ne l'oublierais jamais. Un jour viendra où l'écriture devra succéder à la mémoire, parce qu’aucun témoin direct de ce que nous avons vécu ne sera plus de ce monde. Plus le Nirvana approche, plus je me sens calme et heureux. Je ne suis pas au bord du gouffre ; je suis sur le seuil du territoire ou la conscience individuelle se dissout dans le "monde auquel on ne s'attache pas"

EPILOGUE

Le Bouddha te parle, cher lecteur.

Et à présent que tu connais un peu mieux ma vie, tu sauras écouter mon silence. Laisse-toi faire et cesse d'avoir peur. Accueille la Vérité, elle est à tous les hommes, elle va te réconcilier avec toi-même. Elle va faire de toi celui qui sait accorder sa vie à ses espoirs et à ses aspirations, elle va faire de toi un être apaisé. Ne soit pas désespéré ! Chacun être humain, quel qu'il soit, est appelé à construire son avenir. Le salut de la planète n'est pas soumis au bon vouloir ou aux caprices de la main invisible d'un dieu finalement étranger à l'homme parce qu'il le dépasse complètement.

Si chacun le décide, demain sera meilleur.

POSFACE

Qui n'a pas entendu parler du Bouddha ?

Mais qui le connaît vraiment ?

Depuis longtemps, Bouddha et le bouddhisme nous sont devenus familiers mais souvent de façon approximative et même, parfois, erronée. Réduite à la seule non-violence, parfois travestie par l'exotisme souvent de pacotille des images qu'elle nous renvoie, sa doctrine, pourtant, constitue l'une des tentatives les plus ambitieuses et les plus poignantes d'explication du monde et surtout du sens que les hommes doivent donner à leur place dans celui-ci, à leur destin et à leur vie. Philosophie et religion à la fois, le bouddhisme est à compter au nombre de ces ruptures qui, à un moment donné, pour des raisons mystérieuses, mais toujours, aussi, parce qu'elles sont incarnées par une personnalité exceptionnelle, affectent les croyances traditionnelles d'une société et font progresser la civilisation tout comme l'esprit humain vers des valeurs universelles de tolérance et de paix qui, aujourd'hui, nous semblent aller de soi, mais qui, à l'époque où elles furent proposées, étaient de véritables révolutions intellectuelles et morales.

Au-delà des aspects philosophiques et moraux de sa doctrine, que ce récit s'efforce d'expliquer au lecteur en termes simples, c'est à la découverte du Bouddha lui-même, de sa vie, de ses paroles et de sa trace, que nous invitons ceux qui ne le connaissaient pas encore.

Et d'abord, le Bouddha exista t il ?

A une telle question, la réponse ne peut être que oui. Pourquoi les hommes auraient' ils éprouvé le besoin d'inventer de toutes pièces un tel personnage ? Assurément, vers le milieu du VIe siècle avant Jésus-Christ vécut, au Nord de l'Inde, un homme exceptionnel dont l'immense charisme personnel et le discours, en rupture avec le contexte religieux de son époque, ne laissèrent pas indifférents ses contemporains.

La doctrine qu'il prêcha fut tellement étudiée, classée et codifiée, qu'il est d'ailleurs possible, grâce à l'étude des textes anciens, d'en avoir une idée assez précise. Mais par delà les textes innombrables de ces sermons, qui se répandirent peu à peu vers l'Asie pour faire de la Chine puis du Japon, à partir du début de notre ère, deux pays bouddhistes majeurs, au moment où cette religion commençait à décliner dans son pays d'origine, l'Inde, c'est l'homme que fut Bouddha qui doit avant tout nous interpeller.

Qui était-il ?

Son apparence physique devait être assurément plus proche de celle d'un Indien ascétique aux cheveux bouclés, aux traits fins et aux yeux noirs, que de celles de ses représentations sous forme d'un moine ventru et grassouillet tel qu'on le vénère dans les temples dorés du Vietnam, de Chine ou du Japon. Et c'est là qu'il devient passionnant à connaître. Car jamais, sans doute, un homme n'aura été l'objet d'appropriations si différentes de la part de civilisations aussi éloignées les unes des autres. Car sa parole, par-delà le temps et l'espace, acquit très vite une portée universelle. C'est la raison pour laquelle la meilleure façon de découvrir qui il était est encore de revenir aux sources.

Comme d'autres personnalités de son envergure (on pense au Christ, à saint François d'Assise ou encore à Gandhi) capables d'aller très loin dans la rupture avec l'ordre établi, moral ou religieux, le Bouddha fut, à n'en pas douter, un personnage paradoxal. Il prêchait pour les pauvres, mais il fut écouté par de nombreux princes. Après sa mort, de puissantes dynasties impériales, en Inde puis en Chine, défendirent sa doctrine.

Le Bouddha ne croyait pas à l'immanence d'un dieu suprême. Il croyait, en revanche, au salut de l'homme. C'est pourquoi la meilleure façon de comprendre le bouddhisme est encore de découvrir qui fut, réellement, Siddharta Gautama, celui qui, après sa mort, devint le Bouddha. Peu à peu, le bouddhisme deviendra une religion en bonne et due forme, avec ses deux grands courants, le Petit et le Grand Véhicule ; le premier qui réserve le salut aux seuls moines et l'autre qui le permet aux croyants, même s'ils n'ont pas accompli de vœux particuliers.

La ritualisation de cette spiritualité fait que, si l'on veut bien la comprendre, il convient de revenir au bouddhisme primitif, c’est-à-dire à la parole elle-même de Siddharta, à son mode si particulier et si poétique d’expression et de pensée, qu'on a essayé de respecter et de faire passer tout au long du récit de "Moi, Bouddha".

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